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L’assurance en 2030 : chacun pour soi ? (1/2)

    Ayant étudié pendant plusieurs semaines le concept d’insurtech pour l’un de ses clients, l’équipe de Curiouser a eu l’occasion de réfléchir au futur de l’assurance. Notre collaboratrice Apolonia Rakowski prend ici la plume pour décrypter les évolutions du principe même de l’assurance.

    7h37 en 2030…

    Dan saute de son lit ultra-connecté et transfère ses données de sommeil à Daisy-KV. La qualité de son sommeil est optimale et pendant que son assistant de vie Daisy lui liste son agenda, Dan se dirige vers la cuisine. Il s’imagine déjà devant un plat d’œufs au bacon quand son frigo lui affiche qu’aujourd’hui ce sera porridge. Dan se renfrogne et récupère son porridge insipide. Sa montre connectée a capté sa mauvaise humeur et Daizy-KV lui rappelle que ce petit-déjeuner est parfaitement adapté à ses besoins nutritionnels et correspond à son apport calorique pour la matinée qu’il doit vivre aujourd’hui. Mâchonnant à contrecœur, il observe les indicateurs sur sa smart watch. Son score de points Vitalité est au maximum, mais l’envie de bacon persiste…

    Black Mirror, Saison 4 – Episode 1 « Nosedive » : chaque comportement fait l’objet d’une notation établie par les autres individus. Cette note conditionne l’accès à de nombreux biens et services.

    Chassant cette pensée, Dan se jette dans sa voiture semi-intelligente et la voix de Daisy-KV résonne dans l’habitacle pour l’informer qu’avec son quota de points Conduite Vertueuse, il passe au niveau supérieur et voit son abonnement automobile diminuer. Cette bonne nouvelle balaye presque l’échec au petit-déjeuner. Le temps est clair et dégagé et pour se préparer à son rendez-vous, Dan envisage de passer par l’autoroute au lieu de la nationale. Alors qu’il s’engage en dehors de son itinéraire habituel, la voix de Daizy-KV lui rappelle que depuis deux jours, des animaux sauvages ont été vus traversant la voie rapide. Il y a un risque de collision plus élevé que d’habitude et donc des points Conduite Vertueuse en moins. Un soupir d’exaspération lui échappe et Dan fait demi-tour pour refaire son chemin habituel, spécialement sélectionné parce qu’il avait le profil de risque le plus faible. Parvenue à trois kilomètres de son lieu de travail, la voiture de Dan se gare sur le parking des Actifs : Dan doit, comme chaque jour, parcourir le reste du trajet à pied. Son nombre de pas quotidiens est transmis à son assurance santé, et grâce à son taux d’activité élevée, il bénéfice d’une offre très avantageuse. Mais tout en marchant, Dan songe à quel point il lui est devenu difficile de s’affranchir de ce contrôle permanent de son hygiène de vie qui lui garantit en échange une protection importante et peu coûteuse…

    Dan vit dans un monde où son comportement et sa santé sont mesurés et quantifiés afin d’appliquer à la lettre le « prévenir vaut mieux que guérir ». Force est de constater que cette maxime a été poussée très loin. Certes, cette prévoyance permet à toute la population de vivre une vie plus saine, plus longue, plus performante. Mais Dan vit aussi dans un monde où tous ses produits et offres de services sont personnalisés. Que ce soit l’entretien de sa voiture, la nourriture qu’il consomme, son robot-assistant Daisy-KV… ou son assurance santé et automobile.

    Si nous sommes encore loin de vivre dans le monde de Dan, l’arrivée des technologies du Big Data et de l’intelligence artificielle ont rebattu les cartes dans le monde de l’assurance et de la mutualisation du risque. Il y a une forte demande quant à la personnalisation des offres, pour les rapprocher au plus des besoins des assurés. Néanmoins, à force de personnalisation, si chacun paye sa propre couverture, il n’y a plus d’assurance. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Aux débuts de toute cette aventure.

    Du « Pay As You Drive » au « Pay How You Drive »

    Dans le domaine de l’assurance auto, après le Pay As You Drive (l’assurance au kilomètre),  le Pay How You Drive arrive doucement dans les contrats – beaucoup plus subtil que la première forme d’assurance, car il implique déjà une notion de subjectivité. Qu’est-ce qu’une « bonne conduite », une « conduite vertueuse » ?

    AXA France s’est déjà essayé à l’assurance au comportement. Via sa filiale Direct Assurance, l’offre est destinée à des profils jugés d’emblée comme « plus risqués » que les autres conducteurs : les jeunes et les seniors. Cette offre permet, grâce à un comportement responsable, de bénéficier d’une baisse des primes à la date anniversaire du contrat. Derrière, il y a cette idée qu’isoler des groupes aux primes élevées par avance et leur permettre de donner des gages de bonne conduite est bénéfique pour tous. Direct Assurance rapporte une diminution des sinistres de 20% et une réduction des primes pouvant aller parfois  jusqu’à 50%. Notons toutefois que si la conduite est dangereuse, le malus se manifeste par une augmentation des primes de 10%.

    Allianz Conduite Connectée avec un boitier de technologie TomTom, élu « produit de l’année de l’assuré » aux Trophées de l’Assurance 2016

    Allianz France n’est pas en reste et a emboîté le pas à AXA, en capitalisant sur sa première offre servicielle de télématique embarquée (assistance à distance et aide à l’amélioration de la conduite). En enrichissant cette offre Allianz Connectée, l’entreprise propose à présent, à tous ses clients, une réduction de prime en fonction du comportement. Si les réductions de primes peuvent aller jusqu’à 30%, il n’y a cependant pas de malus. L’assurance au comportement est vue ici sous son aspect marketing, comme un moyen de fidélisation et de levier facilitant la multi-vente de produits assurantiels.

    Toujours dans le domaine automobile, la startup insurtech Inspeer a développé un produit assurantiel spécifiquement dédié aux conducteurs de voitures électriques. Ces derniers ont des besoins particuliers en services, mais ont également un profil de risque considéré comme plus faible. Inspeer a donc parié sur le postulat d’une conduite plus (eco-)responsable de ce groupe, comparé aux conducteurs de voitures « conventionnelles ». Si les cotisations sont les mêmes pour tout le monde, elles sont réparties en deux caisses : une dédiée aux accidents majeurs et une destinée à indemniser les petits sinistres. La startup mise sur une diminution de ces derniers et récompense les conducteurs sous forme de cash back, à la date anniversaire de leur contrat.

    Si dans le domaine automobile une assurance au comportement ne semble pas provoquer de rejet, c’est qu’elle semble justifiée et tous les assurés semblent y trouver leur compte. Une dose de personnalisation permet de réduire le montant des primes (ou les augmenter) et se rapprocher ainsi du « vrai » risque que porte et représente l’assuré. Après tout, les déplacements en voiture sont circonscrits dans le temps, liés à un bien particulier qui a des caractéristiques propres (la voiture, la moto), et un code de conduite, sous forme de code de la route avec son ensemble de normes et de contraintes que chacun est tenu de respecter et qui fait consensus.

    Mais qu’en est-il du domaine de la santé ? Après tout, si l’assurance au comportement d’Allianz devait favoriser la multi-vente, pourquoi cette dose de personnalisation ne s’appliquerait-elle pas, par capillarité, au domaine de la santé ? Les frontières sont de moins en moins étanches entre les deux univers et nous avons les outils technologiques pour mesurer notre hygiène de vie…

    Inspeer, le « bon » comportement individuel profite à la communauté

    Une assurance « Pay How You Live »?

    Lorsque Generali a lancé son offre de complémentaire santé Vitality en 2016, de nombreuses questions ont été soulevées. Ce produit est un « alter-ego » de ce qui avait été lancé en Allemagne quelques mois auparavant,  à savoir un produit d’assurance permettant de récompenser les efforts, en matière d’alimentation et d’activité physique, des salariés assurés. Ces comportements « vertueux » et les efforts entrepris ouvraient à une réduction des primes d’assurance de 15 à 10%.

    En France, la loi interdit la tarification personnalisée dans le cadre de l’assurance collective, c’est pour cela que l’offre Vitality française n’est pas un produit d’assurance, mais un contrat de prévoyance. Le salarié répond, dans une première phase, à un questionnaire en ligne sur ses habitudes, son hygiène de vie, son poids, son âge etc… Il reçoit, en deuxième phase, des recommandations pour perdre du poids, se mettre à une activité physique, aller éventuellement consulter un médecin, etc… Plus le salarié suit ces recommandations, plus il est récompensé. Au vu des contraintes législatives, la récompense prend la forme de bons d’achats et de promotions auprès des partenaires de Generali. Le renseignement des progrès et des efforts est à l’initiative du salarié et fondé sur la confiance – toutefois,  une automatisation de la procédure est possible si le salarié s’équipe d’un bracelet électronique.

    Le programme Vitality de Generali : votre assureur peut-il devenir votre coach sportif ?

    Generali se défend d’appeler Vitality une « assurance au comportement » ; d’une part car il s’agit d’un contrat de prévoyance et d’autre part car le contrat récompense des comportements vertueux, des efforts, la bonne volonté dont fait preuve l’assuré quel que soit son état de santé – il ne s’agit pas ici de ponctionner et de punir les mauvais comportements ou d’imposer un malus en lien avec l’état de santé d’une personne.

     A quand un diktat du « bon » comportement ?

    Avant de revenir sur cette argumentation potentiellement contestable, il est intéressant de s’attarder sur l’aspect « prévention » du contrat Vitality.

    Parler de prévention revient, d’une certaine manière, à remonter la chaîne de causalité du dommage/de l’incident. En effet, étant la matérialisation d’un risque jusque là latent, le dommage/incident s’avère plus ou moins prévisible au regard de différents facteurs biologiques et physiologiques. Compte tenu d’un état de santé dégradé, il serait presque « structurel » d’être victime d’un arrêt cardiaque, d’une maladie etc. La personne ne peut évidemment rien n’y faire, la « fatalité » semble-t-il, devant s’abattre sur elle à ce moment-là. En remontant à la prévoyance et au principe de prudence, le sujet est de nouveau responsabilisé. La fenêtre d’action est plus large et effectivement, l’individu peut agir sur son état de santé en choisissant une alimentation plus équilibrée, une activité sportive régulière. S’il est naturel de vouloir inciter les individus à mener une vie plus saine, plusieurs questions se posent. >>> Découvrez la suite de l’article.

     

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