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Le Futur of Work selon Zuckerberg

    Après la dissection humoristique de la vidéo grand public, je me devais de faire la même chose pour celle qui parle du futur du travail.

    Cette vidéo m’intéressait particulièrement car il s’agit d’un sujet passionnant (et complexe) qui nous a beaucoup mobilisés chez Curiouser pendant cette période du confinement. Cela nous a amenés à questionner l’organisation et repenser nos modes d’animation et ceux de nos clients. Mais il faut croire que chez Meta ils n’ont pas trop réfléchi au sujet. Voici pourquoi.

    Working outside the metaverse

    La vidéo commence par un café. Cafetière italienne et tasse en terre cuite. L’alliance du Japon et de l’Italie. On sent d’emblée qu’on est rentré chez un esthète, un épicurien pour qui rien n’est assez bon. On y trouvera pas de mug « Meilleur papa du monde » ou de pièce de Lego dans le couloir. Non, cette première scène respire le célibat et la sueur de l’entrepreneur californien bien payé (on le voit à la taille de la maison).

    L’homme (car il s’agit d’un homme) arrive dans son bureau. Une chambre nous laisse entrevoir un lit bien avec des peluches d’animaux. Le lit est fait, mais une peluche est par terre. La personne qui a fait le lit a oublié de ranger la peluche. Alors, cet homme a des enfants finalement ? Sont-ils en vacances ? Ou est-ce qu’il s’est réveillé à 10h pour prendre son café ? Mais dans tous les cas, quelle est cette idée stupide d’installer son bureau juste à côté de la chambre du gamin ? Ou alors, cet homme aime bien les peluches. Que de mystère dans cette première séquence.

    Et quel bureau ! Deux fauteuils, une petite bibliothèque et une magnifique baie vitrée qui donne sur un pâturage arboré. Derrière cette vitre, on y voit une référence (volontaire ou non) au bien connu fond d’écran de Microsoft Windows. La fenêtre, les collines au loin, le ciel bleu…

    Zuckerberg lance-t-il un message de paix (ou de rachat) à Microsoft ? Va-t-il leur demander de venir lutter avec lui contre Apple et Google ? Qui peut savoir. Mais la citation est évidente. (Vous l’aviez vue ?)

    Working in the Metaverse

    La désagréable voix off de Zuckerberg reprend « The remote work is here to stay for a lot of people« . Ce qui confirme l’intuition que cette vidéo n’est pas destinée aux gens qui travaillent sur le terrain mais à ceux qui travaillent dans des bureaux (the future of remote work aurait été plus adapté). Suit un blabla où en résumé, d’après Marco, à cause du travail à distance, on a besoin de meilleurs outils pour travailler ensemble. Suspense.

    L’homme s’assoit et chausse ses lunettes. Aussitôt, un environnement virtuel apparaît en surimpression de son bureau.

    On peut tout de même se demander quelle idée il a d’afficher des locaux d’entreprise en surimpression de la vue idyllique de son bureau. Doit être un peu idiot le gars quand même.

    Face à l’homme s’affichent 5 écrans transparents. A croire que les américains ne se sont jamais remis de Minority Report (le film de Spielberg). A chaque projection futuriste, ou représentation d’un hacker, il faut forcément au moins 3 écrans, qu’ils soient holographiques ou physiques. Le multi-écran est devenu une figure de rhétorique de la SF américaine pour signaler la puissance numérique. Peut-être ne savent-ils pas que ce n’est pas la taille qui compte….

    Car 5 écrans, c’est bien, mais pour quoi faire ?

    • Ecran 1 : une playlist musicale,
    • Ecran 2 : un flux du genre Slack (ou Messenger plutôt, on est chez Facebook),
    • Ecran 3 : un explorateur de dossiers
    • Ecrans 4 et 5 : des plans.

    Bref, des fenêtres d’un système d’exploitation classique, mais transparentes et avec des petites polices de caractères et d’énormes icônes. Je serais moqueur j’appellerais ça du « remplissage de créatif en manque d’inspiration ». Non, c’est pas la taille qui compte.

    Rencontre du 3e type

    On ne peut tout de même pas s’empêcher de remarquer qu’une fois les lunettes chaussées la première chose que fait l’homme c’est de mater l’avatar en 3D d’une femme qui se promène.

    Car les choses ne changent pas, même dans le futur de Meta…

    En même temps, on peut se poser légitimement la question : qu’est ce que cet avatar virtuel fait à se balader dans les couloirs ? Et les autres avatars derrière ? C’est des vrais gens ?

    Parce que dans un monde virtuel on pourrait aller en 1 clic à n’importe quelle destination. Et autant ça peut avoir un intérêt de baguenauder dans un jeu vidéo, autant dans une entreprise, c’est complètement aberrant. C’est une perte de temps imbécile.

    L’excuse, « Désolé, je suis en retard, mais me suis perdu dans les couloirs » sera donc toujours vraie dans le Metaverse de Zuckerberg. Voilà qui ne va pas faire du bien à la productivité des entreprises.

    Le travail à distance en mieux… parce qu’en musique ?

    L’avatar de la femme salue l’homme en marchant, pendant que Zuckerberg parle des avantages d’avoir un bureau personnalisé accessible de n’importe où. Oui il nous vend le concept du Flex Work et celui du Remote Desktop en une seule phrase. Sacré Marco, toujours prêt à vendre ce qui ne lui appartient pas (il a l’habitude avec nos données privées).

    Ah, ça y est, l’homme commence enfin à bosser… Ah non, en fait on le voit mettre de la musique pendant que l’immensément insupportable voix off de Zuckerberg nous parle de la productivité évidente qu’on va avoir avec Meta par rapport à d’habitude tout en gardant son pantalon de survêtement.

    Le retour de Star Wars

    Viens ensuite la traditionnelle séquence du plan en 3D drag&dropé d’un flux de discussion pour être mis sur le bureau et se mettre à tourner.

    Encore un trope cinématographique qu’on a pu voir depuis les premiers Star Wars jusqu’aux Iron Man de Jon Favreau. Là, c’est exactement la même chose : c’est en 3D, c’est bleu ça tourne. C’est très joli, même si ça manque d’étoile de la mort (en revanche, Zuckerberg ferait très bien l’empereur).

    Évidemment, technologiquement on en est encore à au moins 10 à 15 ans avant d’avoir ça chez soi, à moins d’habiter dans une galaxie lointaine, très lointaine.

    Une interface vocale qui fonctionne

    L’homme va donc scruter le plan et donner des instructions à l’oral. Celle-ci, sont enregistrées et affichées, le tout avec une fluidité parfaite.

    Les utilisateurs de kit main libre, d’Echo, Google Home ou même Alexa le savent (même si ils ne (se) l’avouent pas) : la plupart du temps ils sont obligé de répéter 3 fois la commande avant que ça fonctionne. Et il s’agit pourtant de vocabulaire basique. Maintenant, imaginez dans un cadre professionnel, un vocabulaire technique, voire un jargon spécifique d’entreprise…

    Ceci dit, on peut imaginer que quand la technologie saura faire une projection holographique domestique, elle saura également intégrer des dictionnaires apprenants dans les interfaces vocales. Ca nous propulse en 2030/35 tout ça.

    Autisme numérique

    Maintenant on passe au contact de Xuân (l’homme s’appelle a priori Xuân, peut-être pour ne pas se fâcher avec les Chinois ? Ou leur demander de faire une association contre Google ? Il faut que j’arrête de tout interpréter, ça devient dangereux).

    La femme est à l’extérieur, dans un endroit étrange mélangeant béton et jardin (une ville connectée du futur ?). L’endroit ressemble un peu à une terrasse à La Défense à Paris à laquelle on aurait rajouté des jardinières pour faire futur.

    La femme s’ennuie, alors elle regarde une sorte d’Instagram-Pinterest avec son interface virtuelle en faisant bouger les images avec son doigt. On avait déjà les abrutis-qui-parlent-tout-seul-à-leur-oreillette, voilà que Zuckerberg nous promet les abrutis-mimes-Marceau. Qui lèveront les doigts en cadence pour faire défiler leurs dose de contenus numériques devant tout le monde.

    Car la femme, n’est pas du tout gênée de faire ça en public. La pollution visuelle n’existe pas dans le monde de Marco. La pollution sonore non plus, quand elle crie à Xuân qu’elle est libre, et qu’on peut parler boulot. L’espace urbain lui appartient. L’intimité, le savoir vivre ? A quoi ça pourrait servir sur Meta ?

    On plaint le bonhomme tout seul en arrière plan. Lui n’est pas sur Meta. Il n’a même pas de portable. On l’imagine vieil homme solitaire lisant un livre. Seul dans sa vie, sans Meta pour avoir des amis. Pauvre Pigeon urbain condamné à écouter les gens connectés se parler entre eux et à voir leur wall Instagram montrés à tous les passants. Le futur de ceux qui ne sont pas connectés à Meta ?

    Le retour de la princesse Leia

    Retour dans la maison de Xuân où son amie apparait en avatar vidéo, exactement comme dans le Star Wars de 1978. Il ne lui manque plus que la tunique de la princesse Leia (et ses écouteurs en cheveux). C’est osé de montrer ça en 2021 en criant à l’innovation.

    « Vous êtes mon seul espoir de ridiculiser Zuckerberg ! »

    La carte et le territoire virtuel

    A ce moment, Xuân grossit le plan de sa maquette qui devient une représentation à l’échelle exacte. Et c’est bien le seul moment où cette vidéo lénifiante depuis le début, devient intéressante.

    En effet, le virtuel sert à créer des abstractions de la réalité qui se superposent à la réalité. Et la question de leur utilisation confrontée à cette réalité est majeure dans l’évolution et la pérennisation de cette technologie. On appelle ça de la réalité augmentée, et l’exploration de ses possibilités est passionnante.

    Quand Xuân transforme la carte en territoire, on voit alors la matérialisation quasi-physique de la fameuse carte de l’Empire au 1/1 racontée par Jorge Luis Borges (dans le recueil L’Aleph et autres textes). De vraies questions sur le sens du virtuel, et son emprise sur le réel peuvent donc se poser. Et il peut être intéressant aux entreprises désireuses d’expérimenter ces technologies de le faire.

    Dans tous les cas, c’est pas Meta qui vous donnera les réponses.

    Pour me concentrer, j’installe Meta

    Xuân décide de travailler (enfin). Il choisir donc son mode de Focus en affichant le thème d’une ile déserte… Oui, quand on y réfléchit 2 minutes : Zuckerberg vient de nous vendre le fond d’écran comme une innovation.

    Et nous constatons avec horreur que Xuân qui vit dans une maison sans vis à vis avec un paysage dingue, choisit d’afficher une plage à la place de son décor naturel. C’est peut-être vraiment un imbécile.

    La voix off insupportable de Zuckerberg reprend alors la parole : « Imagine a space where you can tune out distractions and focus on the task at hand. ».

    Donc Marc Zuckerberg, le gars qui s’est fait une fortune grâce à la propulsion de publicité d’interruption à des gens lobotomisés par des contenus abrutissants, va créer un espace sans distractions… Peut-être veut-il dire sans Facebook, Instagram, WhatsApp et compagnie.

    Je propose une alternative économique, intelligente et pratique : éteindre son smartphone.

    La présentation

    Dans le monde de la Silicon Valley et des startupers du numérique, rien ne se fait sans une présentation. La présentation est ce moment spécial, ce Kaïros, où l’intention rencontre la validation. Il était donc évident que Xuân aille présenter quelque chose. Ce qu’il va faire.

    Il accède donc à la réunion en « portant » son avatar vidéo à la Star Wars (et donc son pantalon de survêtement si j’ai bien suivi ?). Alors qu’étrangement, d’autres participants eux, portent des avatars 3D (comme dans le Meta 3D pour grand public), et d’autres encore sont en visio-conférence à l’ancienne. Quel éclectisme.

    Sauf que c’est complètement improductif. La période COVID nous a appris que la réunion à distance possédait une dynamique particulière où l’égalité des représentations à distance était fondamentale. Si quelqu’un est en vidéo et les autres non, votre réunion sera fort peu performante. Il y aura beaucoup de non-dits (et donc de non-faits).

    Et ne nous leurrons pas, ce sera la même chose avec ou sans avatar. L’inégalité sera flagrante entre ceux qui montreront leur (vraie) tête et ceux qui se cacheront derrière des avatars rigolos. Ces réunions ne pourront donc pas exister dans des entreprises saines.

    Mais peut-être que Facebook-Meta, n’est pas une entreprise saine. D’ailleurs un participant pose la question : « Wait, where is Marc ?« 

    Le N-1, qui lui sait, répond : « I think he is in the middle of something.  » Car oui, comme dans toutes les grosses organisations au management patriarcales, le boss ne vient pas aux réunions car il est occupé, lui. Pas de symétrie des attentions dans ces boites, pas de respect pour les inférieurs. Et c’est normal que le boss ne soit pas là, qu’il ne s’excuse pas.

    C’est ça le futur Marco ? Espérons qu’on s’en sortira mieux en France.

    La conclusion

    Cette vidéo est donc confondante de mièvrerie ou de nullité (à vous de choisir). A la fois par sa vision radicalement passéiste du fonctionnement de l’entreprise, mais aussi dans la la mauvaise utilisation de la réalité virtuelle comme outil professionnel. Meta nous propose une sorte de caricature, moins intelligente, moins belle et nettement moins efficace que bien des films, séries ou même spots publicitaires sur le même sujet.

    Mais alors pourquoi cette nullité, alors que Facebook a tellement d’argent à dépenser ?

    J’y vois deux possibilité :

    Soit Meta n’en a rien à faire des entreprises. Et cette vidéo est juste là pour continuer à vendre du Facebook Workplace en faisant croire aux clients qu’il pense à eux. Donc pas la peine de se pencher sur le sujet car de toutes façons les entreprises achètent tout ce qui est signé Facebook.

    Soit, et je serais plus tenté de le croire, Zuckerberg (et Meta), expert dans les startup, n’y comprend rien aux entreprises « normales ». D’ailleurs toute la situation décrite (vocabulaire, méthode de travail, présentation) parle du mode de fonctionnement de startup. Mais ce qu’il décrit, pour l’immense majorité des entreprises et organisations, ne sert à rien. Ca ne sert à rien pour gérer une équipe, ça ne sert à rien pour créer une communauté, ça ne sert à rien pour les échanges informels, ça ne sert à rien pour des gens qui seraient sur le terrain, etc. Comme si les entreprises de demain devaient forcément devenir des startups.

    E,n conclusion cette méconnaissance crasse de l’évolution des modes de travail alliée à ce désintéressement au sujet, n’ont vraiment pas de quoi allécher les organisations. Et ne parlons pas de l’aspect technique délirant.

    1 commentaire pour “Le Futur of Work selon Zuckerberg”

    1. Retour de ping : - Nostradamus 2023 ⋆

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