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La « destruction créatrice » : heureux hasard ou malheureuse formule ?

    La « Destruction Créatrice » est (re)devenue un bouton sur lequel on appuie (un peu trop vite et un peu trop fort) pour expliquer (beaucoup) trop de choses aujourd’hui (et certainement encore demain).

    L’actualisation du concept de « Destruction créatrice » n’est pas sans rappeler celui de la gentrification des quartiers populaires. Pourquoi ? Parce que, comme trop souvent, on oublie d’envisager les concepts dans leur globalité.

    On parle toujours de ceux qui arrivent…

     

    Lorsqu’un quartier se gentrifie (s’embellit diront les moins regardants), lorsque la supérette est remplacée par un Daily Monop’ et que la fête des voisins devient l’occasion de ressortir ses platines, tout va (presque) bien. Mais il n’est pas uniquement question de ravalement de façade, il s’agit avant tout d’un renouvellement de population. Ceci n’est pas un phénomène nouveau. Tout comme le principe de « destruction créatrice ». Une nouvelle population investit un espace qui souffre d’une mauvaise réputation et, avec le renfort d’une cohorte d’enseignes et d’équipements urbains adaptés à ces nouveaux arrivants, le quartier mue et s’adapte de plus en plus, de mieux en mieux (diront encore les moins regardants).

     

    Rarement de ceux qui partent…

     

    Dit comme ça c’est cool. Mais quid des primo arrivants ? Oui, ceux qui étaient là avant, qu’est-ce qu’ils deviennent ? Ils profitent aussi de toutes ces nouveautés ? Ah… Comment dire… Revenons à Schumpeter, les emplois détruits muent-ils également ? Les imprimeurs deviennent-ils codeurs ? Les loueurs de DVD trouvent-ils des postes intéressants chez Netflix ? Ah… Comment dire… Et bien dans les deux cas soyons très clairs : NON. Ces deux principes oublient (volontairement ?) ce que provoque systématiquement toute destruction ou tout grand bouleversement : des laissés pour compte. Oui d’accord mais combien ? Impossible à savoir. Le numérique produit plus de métiers qu’il n’en détruit. Peut être. Mais peut être pas. Aucun chiffre n’est produit là dessus et la causalité entre destruction et création est parfois presque invisible et des boites disparaissent sans laisser de traces et encore moins d’émotions nostalgiques. Pourtant elles ont été disruptées, comme d’autres mais sans panache médiatiquement rentable. C’est exactement la même chose pour certaines populations de certains quartiers aujourd’hui gentrifiés à 100%.

     

    CC Matt Brown

     

    …et pour aller où d’ailleurs ?

     

    Alors quoi ? C’était mieux avant ? Non, là n’est pas le propos. L’objectif ici est simplement de considérer une théorie dans son ensemble et dans sa logique mathématique la plus stricte : si 1 disparait il ne devient pas 2. La mue n’a pas lieu. La gentrification et la destruction créatrice ne sont pas des évolutions mais des ruptures. Il y a un avant et un après et leurs composantes sont bien différentes. Il faut donc rester critique car vendre la destruction créatrice comme une vertu économique engendrée par le numérique conduit à deux grands écueils : le premier est anachronique, Schumpeter écrit cela en 1942 et, déjà à cette époque, certains lui reprochaient exactement la même chose. Alors si cette théorie trouve encore aujourd’hui des soutiens, les critiques qui l’accompagnent ont également d’ardents supporters. Deuxièmement le mot même de destruction, accolé à celui de création pour faire un bel oxymore, n’en perd pas moins son sens initial : la destruction renvoie à « l’action de faire disparaître ». Sa définition première n’inclut ni l’idée d’évolution et encore moins de réincarnation.

    « La destruction créatrice » de Schumpeter en 1942 illustre exactement la même chose en 2018 : le capitalisme dans ses règles les plus fondamentales. C’est le plus fort qui gagne. Aujourd’hui, dans de nombreux domaines, le numérique est plus puissant. Il doit sa position à ce qu’il est mais aussi à comment le définissent les autres, ceux qui ne sont pas numériques (puisqu’il faut encore faire cette dichotomie douteuse). Tant qu’il sera vu comme « le grand autre » il renforcera sa position. Tant qu’il sera perçu comme une économie nouvelle (de plus de 20 ans, ce qui est très très vieux dans un monde capitaliste) il sera vu comme destructeur par ses détracteurs ou créateur par ses acteurs. Alors qu’il est comme l’économie qui l’a vu naître : un peu de tout et non tout d’un peu.

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