Aller au contenu

[Conférence Paris VR Festival] Quelle narration et quelle écriture pour la réalité virtuelle ?

    Vendredi 17 juin, nous étions à  la conférence sur les nouvelles formes narratives de la réalité virtuelle au Forum des Images dans le cadre du Paris VR Festival (VR pour Virtual Reality, réalité virtuelle). Autour de la table, on retrouvait plusieurs professionnels du secteur du cinéma et de la réalité virtuelle : Armand Lermarchand présentait Sens, son jeu VR à la limite du film d’animation, inspiré de la BD du même nom. Pierre Zandrowicz, réalisateur d’I Philip, le court métrage de science-fiction dont nous avions parlé, représentait Okio Studio, un studio dédié aux films VR. Enfin, Balthazar Auxietre, travaillant pour le Studio Inner Space, présentait son expérience VR, La Péri.

    S’inspirant de leurs expériences respectives, ils nous proposaient leur vision des bonnes pratiques narratives en réalité virtuelle : les nouveaux codes cinématographiques et narratifs imposés par la technologie, autant dans le montage que dans la projection du film et sa réception par le spectateur.

    Des nouveaux codes pour un nouveau dispositif technique

    Comme nous avons pu l’évoquer dans cet article, la construction de la narration d’un film en réalité virtuelle impose de nouvelles règles, que Pierre Zandrowicz qualifie même de « grammaire ». Réinventer ces codes est essentiel pour s’approprier cette technologie qui induit de nouvelles manières de vivre un film. Entre autre, c’est la narration en vue subjective qu’apporte la réalité virtuelle qui doit être pensée et réinventée, car si certains films en 2D comme Cloverfield ou encore Hardcore Henry s’approprient ce type de narration, la réalité virtuelle engendre une sensation « d’y être » beaucoup plus forte et inclusive.

    (Attention trailer violent)

    Mais cette sensation peut être entravée par certains biais techniques qu’il faut apprendre à maîtriser. Un terme revient souvent : celui du Swayze effect. Cette expression décrit la sensation d’être là, sans vraiment y être, puisque les personnes présentes ne font pas attention à vous et ne se rendent pas compte que vous existez, à l’image de Patrick Swayze dans le film Ghost. Difficile donc d’immerger les gens dans un scénario en point de vue subjectif lorsque ceux-ci ne peuvent pas réellement interagir avec le paysage et les acteurs présents (contrainte contournée dans I Philip).

    Le problème de la proprioception se pose également. La proprioception, c’est la capacité à percevoir son corps dans l’espace. En réalité virtuelle, on va chercher à tromper le cerveau afin qu’il ait réellement l’impression d’être dans l’univers où on le projette. Une des techniques qui permet cela passe par la proprioception provoquée par l’inclusion des mains du spectateur/joueur dans le dispositif (possible par exemple sur HTC Vive), ce qui permet d’instaurer un repère visuel beaucoup plus fort et une appropriation beaucoup plus rapide de l’environnement.

    Des films customisés pour le spectateur ?

    Le sujet du point de vue subjectif pose beaucoup de questionnements autour de l’identification du spectateur et de l’adaptabilité des films. Comment lui permettre d’incarner un personnage lorsque celui-ci ne correspond pas à ses propres attributs physiques (carnation, mains d’homme/de femme, etc) ? Doit-on prévoir plusieurs versions du film selon son public ? Ces questions restent pour le moment sans réponse définitive. A l’image du cinéma traditionnel où les gros plans paraissaient une aberration dans un premier temps (en raison du fait qu’ils tronquaient les personnes présentes à l’écran) puis sont rentrés dans les mœurs, nous sommes capables de nous habituer à certains codes imposés par le dispositif. L’instauration d’une grammaire définie et validée par les spectateurs doit s’inscrire sur la durée.

    Le cinéma VR tendrait-il donc à être personnalisé et personnalisable ? Les trois intervenants sont unanimes : les difficultés d’inclusion du spectateur et son identification au personnage semblent moins compliquées à réaliser dans un univers d’animation comme Sens où le spectateur se voit projeté dans un univers totalement en décalage avec sa propre réalité. C’est plus difficile à imaginer dans une œuvre filmée, car on s’éloigne de l’univers du jeu vidéo pour revenir à celui du cinéma, où le spectateur n’est pas habitué à incarner qui que ce soit.

    Personnaliser les films pourrait aussi passer par le déclenchement de séquences en fonction de ce que le spectateur serait en train de regarder, à l’image du film VR, Gone, développé par WEVR.

    Cela soulève cependant des questions pragmatiques de storytelling. Peut-on raconter différentes histoires à un même public ? Multiplier les scénarios ? Ou faut-il au contraire produire des films VR avec une seule trame, en prenant le risque de perdre le spectateur en route tandis qu’il observe distraitement le paysage alors qu’une scène cruciale se joue derrière son champ de vision ? Devrait-on arrêter l’intrigue lorsqu’il ne regarde pas dans la bonne direction ? Beaucoup de questions qui sont autant de terrains à défricher mais que Pierre Zandrowicz dissout volontiers : avec un bon scénario, le spectateur regardera où l’on veut qu’il regarde.

    Préparer le film autrement

    Pendant les questions du public, beaucoup s’interrogent sur la manière d’anticiper la scénarisation d’un film VR. Comment réaliser le storyboard d’un tel film ? Quelles sont les nouvelles formes de montage qu’impose cette technique ? Pierre Zandrowicz explique que pour réaliser I Philip, il a rédigé son scénario en deux colonnes : une partie classique et une partie où il décrit ce qui se passe autour, le tout complété par des moodboards. Pour son storyboard, il a dû diviser ses plans par « axes », décrivant ce qui se produisait dans chaque axe et se concentrant sur des vues de dessus. Pendant le tournage, il tournait les scènes par « axe » pour ensuite les « recoller » ensemble en post-production.

    https://www.youtube.com/watch?v=WvZFceJtPY8

    Ces nouvelles pratiques mettent en lumière le fait que derrière un récit en VR, il y a également de nouvelles manières de le structurer, de le modéliser, et même de le prototyper. La conférence a permis d’amorcer une grande quantité de pistes pour comprendre les enjeux de la narration en réalité virtuelle. Elle a également mis l’accent sur des verrous techniques qu’il faudra apprendre à maîtriser. Le spectateur devra être accompagné et même apprivoisé quant aux nouvelles formes de réalisation cinématographique. Un véritable challenge pour le monde du cinéma.

     

    L’intégralité de la conférence ci-dessous :

    Laisser un commentaire

    Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

    Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.