L’IA générative et l’illusion de l’innovation facile

Vous avez certainement vu défiler sur LinkedIn une avalanche de promesses d’innovation à base d’IA générative : formations, conférences, études, hackathons… Tous vantant l’idée que l’IA peut « innover » ou même « faire de l’innovation » (sans oublier la petite injonction à ne surtout pas rater la tendance, FOMO quand tu nous tiens).

Les promesses n’engageant que ceux qui y croient, l’utilisation de l’IA générative est-elle vraiment capable de créer de l’innovation ?

Alors IAG, innovation ou pas ?

Sur le terrain de l’innovation de rupture, il est facile d’imaginer de nouveaux produits ou services à base de nouvelles technologies émergentes.
Mais avec l’IA générative, mieux vaudrait rester prudent car il s’agit d’une techno encore instable, loin d’être éprouvée. C’est un peu comme construire sur du sable : si l’exercice intellectuel est agréable, à la première vague, tout s’effondre.
Alors ne vaudrait-il pas mieux investir plutôt dans de la création d’innovation à partir de technologies solides et éprouvées que dans une techno tendance ?

En revanche, lorsqu’il s’agit d’innovation incrémentale l’IA générative montre un véritable potentiel. Elle excelle en effet dans l’optimisation de processus existants, grâce à sa rapidité d’exécution et, souvent, à son coût inférieur à celui d’un salarié humain (grâce au dumping actuel des acteurs – mais ça ne va pas durer).

Ainsi, aujourd’hui, on utilise principalement l’IAG dans les entreprises pour de l’optimisation ou de l’automatisation de processus nécessitant du traitement et de la production de textes et d’images pour des jobs plus ou moins bullshit (lire le passionnant L’IA générative sera-t-elle l’Excel de la société de la connaissance ? chez Hubert Guillaud). Dans une moindre mesure, elle permet aussi d’accomplir des tâches qui, auparavant, étaient jugées trop chronophages pour être envisagées. Dans tous les cas, elle peut nous faire gagner du temps.

A court terme, les bénéfices de l’IA aujourd’hui s’orientent ainsi vers un gain de temps potentiel et pourquoi pas, une réduction des coûts (le coût-homme remplacé par un coût-techno). Si certaines industries appellent ça de l’optimisation, d’autres font rentrer ces avantages dans la case innovation.

Seulement, notre monde se transformant, on peut s’interroger sur ce type d’innovation rapide à l’opposé de l’innovation durable. L’innovation durable intègre en effet dés le début une vision holistique et systémique qui prend en compte les enjeux à long terme de la technologie utilisée et des usages à laquelle elle est destinée. De l’innovation contrôlée qui permet à l’entreprise d’anticiper les conséquences de ce qu’elle fait.

Les enjeux à long terme de l’IA générique pour les entreprises

Car on peut réfléchir dés à présent aux conséquences pour les entreprises de l’intégration de l’IA générative dans leurs processus. Des conséquences tout à fait prévisibles :

  • La hausse des prix des modèles. Les vendeurs d’IA sont en phase de captation : ils vendent à perte. Et ça ne va pas durer éternellement. Les coûts de l’IA ne vont pas arrêter de monter (lire Tristan Nitot : l’explosion de la bulle IA). Dites-vous que vous n’investissez pas dans une technologie stable, mais sur des variations boursières américaines.
  • La dépendance technologique. Une fois vos processus « boostés » par l’IA générative, bon courage pour revenir en arrière. Car êtes-vous capable aujourd’hui de vous séparer de votre Windows 365 ou de Google entreprise ? Non.
    Pour l’IA générative, ce sera encore pire car plus l’outil s’intègre, plus la dépendance s’accroît jusqu’à rendre toute alternative impossible. Une fois captifs, vous n’aurez plus vraiment le choix. Alors surveillez vos Directeurs Marketing et vos DSI avant qu’ils ne vous marient de force !
  • L’anti-souveraineté numérique. Personne ne sait vraiment ce qui se cache dans les LLMs : d’où viennent les données qui ont permis de construire les modèles ? Où vont vos propres données quand vous utilisez un modèle ? Quelles limitations précises ont été imposées aux modèles ? Quels biais y ont été intégrés ? etc. Mystère, magie, de véritables boîtes noires !
    Des boites noires qui vont devenir de plus en plus autonomes (la fameuse agentivité à la mode) sans que vous n’en sachiez plus. Dans ce contexte, la souveraineté numérique n’est qu’un rêve. En réalité vous ne contrôlez rien.
  • La hausse du chômage à horizon 2030, voire avant. Car il va bien falloir trouver de quoi financer cette technologie dont le coût ne va pas cesser d’augmenter. D’ici quelques années/mois, l’utilisation de l’IA va forcer les entreprises dépendantes à réduire leurs charges… Salariales. Dans le futur, combien d’entreprises françaises vont ainsi licencier des salariés pour enrichir des actionnaires de startups ?
  • Et le désastre environnemental en prime. Je laisse Cédric Villani, défenseur de l’IA, vous expliquer à quel point « l’IA générative est un ennemi de la transition écologique« .
    Les conséquences de l’utilisation de l’IA gen vont donc s’ajouter à notre usage du numérique déjà non raisonné et mal réglementé. Et tout ça pour pour écrire vos mails à votre place ou générer des photos de chat dont on pourrait se passer.

Ainsi, lorsqu’on parle d’innovation via de l’IA générative, il est indispensable d’en examiner les enjeux à long terme. Ce que la plupart des vendeurs d’IA se gardent bien de faire aujourd’hui. Alors quelles sont les solutions ? Car il serait une erreur de refuser d’aborder cette technologie par principe.

Les technologies sont là pour qu’un les utilise de façon raisonnée et dans une perspective durable, même l’IA générative si facile à utiliser.

Pour une utilisation critique de l’IA dans l’innovation

Il est nécessaire pour créer de l’innovation durable de penser dans une perspective long terme, ce qui passe par :

1- La compréhension fine de la technologie. Des formations en profondeur sur le sujet qui dépassent les formations de prompting, à mon avis, très surfaites. Lire à ce propos Formation en IA, 3 sujets qui dérangent et pourtant indispensables.

2- L’encadrement des usages et gouvernance au sein de l’entreprise. Il est nécessaire d’engager toutes les parties prenantes pour décider de qui peut faire quoi sur un LLM et organiser son innovation en choisissant de prioriser tel ou tel use case. Cet encadrement, véritablement stratégique nécessite des gens bien formés et priorisant la durabilité et résilience de l’organisation. Fuyez les techno-enthousiastes qui changent de job tous les 2 ans.

3- La (re)montée en compétences techniques et responsabilisation de la DSI.
Une DSI, qui a perdu ses compétences techniques ou déresponsabilisée sera incapable de mesurer ou d’anticiper les risques de dépendances technologiques de l’IA générative ou de mettre en places des alternatives aux modèles américains ou chinois. Une DSI responsabilisée et engagée est la clé de l’intégration propre de l’IA gen.

4- Le travail conjoint avec la RSE. L’IA Générative, encore plus que les autres technologies numériques, questionne la véritable responsabilité sociétale des entreprises. Démarches d’éco-design, anticipation des effets de bords, initiatives numériques responsables (cf Alt-Impact de l’Ademe), il existe beaucoup (trop) de moyens pour créer des innovation durables.
Par ailleurs une innovation durable est souvent mieux positionnée pour répondre aux normes qui devraient se multiplier dans le futur (cf la Spec 2314 de l’Afnor).

Ainsi plus que jamais dans le domaine de l’innovation, celle de l’IA générative nécessite de réfléchir durablement, dans une perspective de temps long. Il est donc important de ne pas se jeter sur l’innovation décidée en 5 minutes, mais plutôt réfléchir aux conditions d’implémentation de cette technologie de l’IA générative avant de se lancer dans l’exercice.

Car l’exercice peut tout à fait valoir le coup. L’IA générative est une technologie puissante qui va véritablement bouleverser beaucoup de marchés. Pour le meilleur ou le pire.

Cyril

PS: Si le sujet vous intéresse, parlez-en avec Curiouser. Nous pouvons vous aider à structurer vos démarches d’innovation à base d’IA génératives. Nous faisons aussi de la formation sur le sujet et animons vos équipes à travers des débats éclairés sur ces nouveaux enjeux.

PS 2 : A propos de la véritable responsabilité sociale des entreprises, je vous conseille les mardis de l’innovation de Marc Giget que je ne recommanderai jamais assez.

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